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FRANCITÉ, ETC.

Un peu d'histoir(e)s

Sous l’entrée ''francité'', le Petit Robert nous livre la définition suivante: ''n.f. - 1936, répandu v. 1965 - de France - Caractères propres à la culture française, à la communauté de langue française (>francophonie)" En unique exemple, y est citée…: "la Maison de le Francité, à Bruxelles'' !

Le Larousse en réduit encore le sens en : "qualité de ce qui est français; ensemble des caractéristiques de ce qui est reconnu comme français." Et le Trésor de la Langue française de corroborer: "Ensemble de caractères propres au peuple français, à sa culture." Cette première acception, toujours répandue actuellement, lie donc étroitement la "francité" à la culture de France. Or, de toute évidence, les régions d’expression française dépassent de loin les frontières françaises… 

Une seconde interprétation renvoie à la "symbiose culturelle des celtes, germains et latins". "Francité" dériverait alors de "franc", renvoyant à la nouvelle civilisation des Francs issue de la synthèse entre les anciennes cultures présentes sur un territoire plus étendu que celui de la France actuelle. Parallèlement à ce territoire de langue française de souche en Europe, dont l’apparition remonte officiellement à 842, l’histoire coloniale ancrera notre langue sur la carte du monde dès le début du XVIe siècle.

La "francité" recouvre par conséquent une réalité vaste et complexe, qui ne peut être perçue qu’à travers sa dimension historique.

C’est à Léopold Sédar Senghor qu’on attribue la paternité du néologisme "francité" vers 1965.

Dans son ouvrage "Ce que je crois: Négritude, Francité et Civilisation de l’Universel", il en donne en 1988 la définition suivante : "ensemble des valeurs de la langue et de la culture partant de la civilisation française. […] C’est, en art et en littérature, le "gout" et la "grâce", qui font son "charme". C’est, plus précisément, dans la langue française, qui intéresse aussi les savants et techniciens, cette "logique naturelle" et cette "admirable clarté" qu’elle a conservées depuis Descartes jusqu’à aujourd’hui".

Au lendemain des indépendances des anciennes colonies, l’attachement du premier Président de la République du Sénégal à la langue et la culture françaises est prépondérant. Ce dernier loue les "qualités intrinsèques" et le statut international de cette langue. 

Bien qu’il soit le tribut de la colonisation, le français constitue en effet un héritage inestimable qui n’appartient désormais plus exclusivement à l’ancienne métropole. La civilisation française est la clé ouvrant aux Africains les portes de l’élite intellectuelle mondiale. Senghor fut en ce sens un des fondateurs de la Francophonie de même que le premier Africain à siéger à l'Académie française en 1983. Il est dès lors le symbole de la coopération entre la France et ses anciennes colonies pour ses partisans ou du néocolonialisme français en Afrique pour ses détracteurs.

Le terme "francité" s’en retrouve alors figé à la définition de son promoteur et enfermé dans la référence à la "civilisation française", au détriment de l’évolution de la situation du monde francophone qui, inéluctablement, ôte à la France son statut de "Mère-patrie". 

L’idée de lien étroit entre "francité" et "civilisation française" devient difficilement acceptable dans le contexte mondial postcolonial. Dès 1968, la "francité" est également appréhendée comme "la francophonie moins la France", à savoir les populations ayant pour langue le français mais ne se considérant pas françaises. 

Au fil du temps, la notion de "francité" évolue, en particulier avec l’apparition du concept de "francophonie", ces deux termes ayant souvent été amalgamés.

"Francophonie" nait sous la plume d’ Onésime Reclus qui, dans son ouvrage France, Algérie et colonies en 1886, classe les populations non pas par race, comme il était de coutume de le faire à l’époque, mais par langue. 

"Francophone" et "francophonie" se référent alors aux personnes et territoires qui partagent la langue de la nation française. Cependant, dans la première moitié du XXe siècle, le mot "francité" est privilégié pour désigner les caractéristiques linguistiques et culturelles de ce qui est français ou "esprit français". Il faut attendre les années 1960 pour voir réapparaitre les termes "francophone" et "francophonie", demeurant pourtant absents des noms des premières instances de la Francophonie institutionnelle y compris lors du premier Sommet de Paris en 1986. 

La francophonie désigne donc à l’origine tous les pays francophones à l’exception de la France. Ce n’est qu’en 1990 que la France y est logiquement intégrée. Il n’est pourtant pas rare à l’heure actuelle qu’une distinction soit encore établie entre France et francophonie. Cette dernière renvoie à la "représentation traditionnelle inscrivant les pays francophones dans une hiérarchie allant du centre français vers la périphérie francophone en fonction que le français y ait le statut de langue maternelle, nationale, de communication ou de culture. 

Cette conception est heureusement largement dépassée depuis l’émergence des cultures francophones qui a marqué l’ère postcoloniale. La francophonie, désormais polycentrique, se présente en noyaux correspondant aux différentes régions du monde d’expression française, qui orientent leurs normes linguistiques et leurs manifestations culturelles respectives. 

Cette hétérogénéité francophone reconnue, il serait de surcroit plus judicieux de parler "des francophonies" de même que "des français". La mise au pluriel permettrait de sortir pleinement de cette vision franco-centrée du monde francophone.

Quant au destin de "francophonie", avec un f minuscule, il désigne à présent l’ensemble des peuples ou des groupes de locuteurs qui utilisent partiellement ou entièrement la langue française dans leur vie quotidienne ou dans leur communication.

Le terme a parallèlement vu apparaitre la majuscule pour désigner le regroupement des gouvernements, des pays ou des instances officielles qui ont en commun l’usage du français dans leurs travaux ou leurs échanges. Cette Francophonie institutionnelle est représentée aujourd’hui par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et les Sommets de la Francophonie qui se sont axés progressivement sur la politique et l’économie dotant le mot "Francophonie" d’une dimension politique et économique, un peu à l’image du Commonwealth. Force est de constater que le terme "francophonie" est souvent associé, à tort, à ces réalités institutionnelles et politiques. Plus localement, "francophone" renvoie aux communautés linguistiques de notre pays.

De nos jours, le terme "francité" recouvre, une réalité très large: celle d’une communauté culturelle et linguistique contrastée. Il désigne l’ensemble des cultures, aussi différentes soient-elles, dont le point commun est la langue française, de même que l’expression d’une langue et d’une pensée dans toutes leurs variations et leur diversité. La "francité" ouvre un horizon de partage et d’enrichissement entre les membres d’une communauté où toute prépondérance d’une norme ou d’une civilisation a disparu.

Forte de ce nom riche de sens, la Maison de la Francité, ambitionne de permettre à un large public de découvrir le(s) français, les cultures qui y sont associées sous toutes leurs formes et leur résonnance dans le à travers le monde.


SOURCES

  • AKINWANDE Pierre, Négritude et francophonie: Paradoxes culturels et politiques, préface de Henri Senghor, éd. L’Harmattan, Paris, 2011, 325 p.
  • ALBANESE Ralph Jr., La Fontaine à l'école républicaine: du poète universel au classique scolaire, éd. Rookwood Press, Charlottesville, 2003, coll. EMF Critiques, 338 p.
  • CERQUIGLINI Bernard et al. (dir.), Le français dans tous ses états, Flammarion, Paris, 2000, p. 86.
  • FONTAINE José, La frite et la francité, in Le Monde, 22 juillet 1980, p.2, republié dans La Revue Toudi, 6 mars 2011.
  • LAROUSSE.
  • REY-DEBOVE Josette et REY Alain (dir.), Le Nouveau petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, éd. Société DICTIONNAIRES LE ROBERT, Paris, 2010, 2837 p.
  • SENGHOR Léopold Sédar, Ce que je crois : Négritude, Francité et Civilisation de l’Universel, éd. Grasset & Fasquelle, Paris, 1988, 234 p.
  • TÉTU Michel, Qu’est-ce que la francophonie ?, éd. Hachette Edicef, Vanves, 1997, 317 p.
  • VACHON G.-André, La "Francité", in Études françaises, vol. 4, n°2 (1968), p.117.
  • CHEVRIER Jacques, Senghor militant de la francophonie, in Actes du Colloque 2002 du Cercle Richelieu-Senghor.


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